Artiste de l’âge d’or de la peinture flamande, Judith Leyster réinterprète les poncifs des scènes la de vie quotidienne, à travers une touche fluide et un éclairage tout en contrastes

une étoile est née

Huitième d’une fratrie de neuf enfants, Judith Leyster grandit à Haarlem aux Pays-Bas. Son père brasseur est le patron du bar “Ley ster”, l’étoile polaire en néerlandais. La famille déménage à la fin des années 1620 dans la province d’Utrecht. Si Leyster ne vient pas, contrairement à bien des créatrices de l’époque, d’une famille de peintres, elle aurait débuté sa carrière pour sauver son père de la faillite.

Judith Leyster entre alors en contact avec des artistes qui peignent dans le style caravagesque. On perçoit d’ailleurs son intérêt pour les effets de clair-obscur dans ses toiles, ce que montre La Proposition. Le personnage féminin ne prête pas attention à l’argent et aux avances que lui offre la figure masculine, préférant se consacrer entièrement à son ouvrage.

L’ombre portée de l’homme sur le mur lui donne un aspect presque menaçant. Par contraste, la femme est éclairée de face à la bougie. Cet effet est renforcé par la blancheur de sa chemise. Cet intrigant tableau diffère sensiblement des scènes de vie quotidienne grivoises de l’époque. L’artiste a détourné titre et sujet qu’on attribuait volontiers à la représentation d’une faveur sexuelle.

Maître-peintre

Les détails de sa formation demeurent incertains ; Leyster a peut-être étudié sous le peintre d’histoire Frans Pietersz de Grebber ou Frans Hals. Elle est en tout cas assez connue pour être mentionnée en 1628 par l’écrivain Samuel Ampzing. Elle signe sa première oeuvre de sa main en 1629.

De retour à Haarlem, elle réalise un autoportrait pour assurer sa promotion, dans une pose dynamique mais détendue qui lui confère une impression de naturel. Elle se tourne vers le spectateur, la bouche à demi-ouverte dans un sourire comme si elle lui parlait au moment où celui-ci la surprend à son travail. Leyster met l’accent sur sa richesse et son élégance, comme le montrent ses étoffes soyeuses et sa collerette de dentelle (peu adaptée à la peinture, en vérité !).

Elle se dépeint avec les attributs de sa pratique, à son chevalet, pinceau et palette à la main, alors que la toile face à elle n’est pas encore achevée. Celle-ci figure une de ses variations sur le thème de La Joyeuse compagnie, traité environ un an plus tôt. Leyster établit ainsi une correspondance entre les arts plastiques et ceux de l’harmonie musicale.

En 1633, Judith Leyster est admise au sein de la Guilde de St-Luc, et reçoit le titre de maître-peintre, ce qui lui donne le droit d’enseigner et d’avoir des apprentis. La Guilde ne prendra plus d’artistes femmes après Leyster pendant le reste du 17e.

Sa réception en tant que première femme de la corporation fait aujourd’hui débat. En effet, la Guilde a pu compter plusieurs membres féminins auparavant, mais dans les domaines de l’artisanat ou en tant que collaboratrices de leurs époux. Or les peintres avaient fait reconnaître le statut libéral de leur profession depuis le 16e siècle en Flandres, au même titre que les belles lettres, et pour se distinguer des métiers manuels.

Qu’y a-t-il dans un nom ?

Quelques années après avoir débuté son enseignement, elle se voit obligée de poursuivre en justice Frans Hals pour avoir accepté l’un de ses étudiants qui avait quitté l’atelier pour rentrer dans celui de son rival 3 jours après. Les archives de la Guilde de St-Luc rapportent que l’apprenti avait été condamné à payer la somme de 4 florins à la créatrice, soit la moitié de ce qu’elle avait exigé. C’est Frans Hals qui règle le litige et garde l’élève, en versant à Leyster une nouvelle amende de 3 florins. Finalement, la Guilde requiert d’elle un gage financier pour ne pas avoir enregistré ce dernier.

La technique de Leyster se rapproche plus de Dirk Hals, le frère de Hans (pour ses figures de taverne notamment), mais ces liens ont largement contribué aux défauts d’attributions de son oeuvre. En 1636, elle se marie avec le peintre Jan Miense Moelnaer, dont elle partage l’atelier, ce qui met court à sa carrière personnelle. Leyster assiste son mari dans sa pratique, mais s’occupe principalement du foyer et de leurs 5 enfants. Elle tombe malade en 1659 et meurt l’année suivante, la plupart de ses toiles sont données à d’autres peintres.

Reconnaissance tardive

La découverte de son initiale “J” ou du monogramme accompagné d’une étoile à la fin du 19e ont permis de rétablir la paternité de son oeuvre. On connaît à ce jour 35 tableaux de sa main. Surtout peintre de genre et portraitiste, elle a réalisé une scène d’histoire inspirée de l’Ancien Testament, David avec la tête de Goliath (1633).

Il reste très peu d’oeuvres après son mariage : deux illustrations dans un livre de tulipes de 1643, un portrait de 1652 et une nature morte de 1654 récemment répertoriée dans une collection particulière. Sa dernière production a été effectuée à l’aquarelle et à la pointe d’argent sur papier vélin.

La créatrice a récemment été mise à l’honneur dans les musées de Washington, que ce soit sur le site de la National Gallery (www.nga.gov/collection/artist-info.1485.html#works) ou au National Museum of Women in the Arts, qui lui a dédié une exposition en 2019 au regard d’autres artistes flamandes : nmwa.org/art/artists/judith-leyster/.

The Concert Judith Leyster National Museum of Women in the Arts
Le Concert, vers 1633, huile sur toile
61 x 86,7 cm, National Museum of Women in the Arts, Washington

Et en pratique ? Judith Leyster figure sur le parcours du Louvre, au 2e étage de l’aile Richelieu : womensarttours.com/visite/le-louvre-histoire-dun-nouveau-genre/

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