Seule femme à passer la barrière du quota de 4 créatrices imposé par l’Académie, la vénitienne Rosalba Carriera lança la mode du pastel en France

se faire une réputation

Issue d’un milieu modeste, Rosalba Carriera se forme auprès de sa mère, dentellière de profession. Lorsque ce commerce commence à s’effondrer à la fin du 17e siècle, elle doit trouver d’autres moyens pour subvenir aux besoins de sa famille.

Jean Stève, un artiste installé à Venise, l’initie alors à la miniature, une technique de peinture qui requiert une grande précision. La miniature sert à décorer des accessoires ou bijoux, parfois avec les portraits de personnalités politiques ou de membres de la famille. Carriera serait l’une des premières peintres à employer l’ivoire plutôt que le vélin comme support.

Elle se fait connaître en oeuvrant sur des tabatières. Étape essentielle du Grand Tour, Venise attire de nombreux voyageurs et amateurs d’art qui s’arrachent ces petits objets de collection.

de la miniature au pastel

Rosalba Carriera termine son apprentissage en 1703 dans l’atelier du graveur Guiseppe Diamantini, et élargit sa palette. Elle se tourne vers l’art du portrait et commence à user du pastel de manière régulière. Un choix astucieux : les commandes officielles abonderont, comme celles de Christian Cole, Duc de Manchester et ambassadeur à Venise, du roi du Danemark Frédéric IV, ou encore celles du roi de Polande qui fera l’acquisition de 150 dessins.

Le Prétendant, fis de Jacques II, date inconnue, aquarelle sur ivoire, 9,8 x 7,8 cm Musée du Louvre, Paris

En 1705, Rosalba Carriera est nommée peintre émérite – titre accordé aux artistes non-résidents – de l’Académie de Saint Luc à Rome. Elle affine sa pratique du pastel qu’elle emploie de manière singulière, en lui conférant une certaine dignité. L’artiste considère le medium comme une fin en soi pour réaliser des oeuvres achevées, et non comme un moyen d’exécution pour une esquisse préparatoire. Cela devient sa technique de prédilection pour le portrait, notamment pour mettre l’accent sur les traits saillants du visage et la ressemblance avec le modèle. Cette pratique lui permet de transmettre la psychologie de ce dernier, à travers des représentations plus intimistes que les portraits officiels, à l’huile, de l’époque.

De plus, elle apprécie la malléabilité du pastel, qu’elle peut estomper à loisir. Elle innove en combinant l’utilisation plusieurs craies de couleur sur la même surface, afin d’obtenir une plus grande variété de tonalités. Elle peut ainsi rendre compte d’étoffes telles le satin ou la dentelle grâce aux faces et arêtes de craies blanches appliquées sur ou sous un dessin préliminaire au fusain. En ce sens, l’oeuvre de Rosalba Carriera s’insère à merveille dans le mouvement rococo qui privilégie les effets de transparence, d’asymétrie, le trompe-l’oeil et les lignes courbes.

Séjour parisien

En 1715, Pierre Crozat, un marchand d’art français, vient lui rendre visite à Venise, avant de l’inviter à Paris cinq ans plus tard dans son hôtel particulier rue de Richelieu. La pastelliste reste un an et demi dans la capitale. Toutes ses activités sont retranscrites dans son journal que son admirateur, l’abbé Vianelli, fait publier en 1793. Le document est disponible ici en version numérique : gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6523823n.r=Rosalba%20Carriera?rk=21459;2.

Rosalba Carriera, Louis XV of France, 1720-1721, pastel on paper, 50.5 x 38.5 cm, Alte Meister Galerie, Dresden
Louis XV of France, 1720, pastel sur papier, 50,5 x 38,5 cm
Alte Meister Galerie, Dresde

Devenue la coqueluche de l’aristocratie parisienne, Rosalba Carriera enchaîne les commandes et visites de galeries, rencontre le Directeur de l’Académie Antoine Coypel, le portraitiste Hyacinthe Rigaud, le sculpteur Maurice Falconet. Ses pastels sont prisés du tout-Paris; elle en exécute une quarantaine du dauphin, le jeune Louis XV, et croque le peintre de scènes galandes, Antoine Watteau. Sa soeur Giovanna et le mari de celle-ci, l’artiste Antonio Pellegrini, lui servent d’assistants.

Le 26 octobre 1720, Antoine Coypel propose son admission à l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture. La décision est unanime. Plusieurs artistes s’inspirent de sa touche vaporeuse, comme le pastelliste Quentin de la Tour. Si l’attrait pour le rococo s’essouffle à la fin du 18ème siècle, le style de Carriera aura une influence non négligeable sur la pratique de créatrices comme Adélaïde Labille-Guiard et Elisabeth Vigée-Lebrun.

“La Rosalba” produisit également des scènes allégoriques et mythologiques. À propos de La Nymphe d’Apollon (cf photo de couverture), la critique du Mercure de France est élogieuse : “C’est un précis de toutes les parties de la peinture, tant pour le coloris et la finesse des touches ; il contient toutes les grâces et ornements dont une demi-figure est susceptible”.

voyage voyage

Après son retour à Venise, Rosalba Carriera se fait convier par le Duc Rinaldo d’Este à Modène en 1723. Elle se rend à Parme, puis à Vienne pour y portraiturer la cour, notamment l’empereur Charles VI qui devient l’un de ses mécènes, tandis qu’elle enseigne le dessin à son épouse.

Sa série des Quatre continents témoigne de son intérêt pour les grandes découvertes du siècle précédent. Les personnifications de l’Amérique, de l’Asie, de l’Afrique et de l’Europe dans les Beaux-Arts sont à la mode. On les identifie au moyen d’archétypes féminins accompagnées d’attributs spécifiques qui dénotent leur appartenance géographique.

Une cécité progressive, probablement due à la pratique de la miniature, met fin à la carrière de l’artiste au début des années 1740. Elle se fait opérer de la cataracte à deux reprises, mais en 1746, elle est complètement aveugle.

Son oeuvre s’est diffusée auprès de nombreux réseaux de la noblesse européenne, enrichissant ainsi les fonds de collections étrangères. En 1762, le roi George III acquiert plusieurs de ses autoportraits, exempts d’idéalisation.

Le Cabinet des Arts Graphiques du Louvre contient quelques uns de ses pastels, parfois exposés dans la salle dite “le couloir des Poules”, un lieu peu exploré des visiteurs. Comment trouver cette galerie ? Suivez la guide : womensarttours.com/visite/le-louvre-histoire-dun-nouveau-genre/.

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