Où Mary Richardson s’introduisit avec un hachoir dans la National Gallery de Londres pour protester contre les idéaux de beauté occidentaux et s’engager en faveur des droits des femmes
Vert, violet, blanc
À partir de 1908, la combinaison des trois teintes devient celle des suffragettes britanniques qui revendiquaient le droit de vote des femmes. Je ne sais pas si vous aviez remarqué, mais la charte graphique de Women’s Art Tours reprend ce même code couleur. Le vert, c’est l’espoir, la nature et son renouveau, ainsi que la fertilité. Le violet, encore aujourd’hui choisi par de nombreuses associations féministes, était associé à la royauté mais aussi à la spiritualité et la sagesse. Selon la fondatrice de la Women’s Social and Political Union, Emmeline Pankhurst, le violet symbolise la dignité et l’instinct de de liberté qui anime chaque femme. Il est aussi intéressant de noter que pour la société édouardienne, le mauve reste l’une des tonalités portées par les femmes qui commencent à sortir de leur période de deuil. Enfin si on y réfléchit bien, violet, c’est la nuance intermédiaire entre le rose et le bleu, deux couleurs traditionnellement associées au féminin ou au masculin dans l’inconscient collectif occidental. Le blanc quant à lui signifie la pureté, teinte appréciée dans la garde-robe quotidienne féminine de l’époque.
Quel rapport avec l’art, me direz-vous ? L’un des modes d’actions des militantes était précisément le vandalisme de musées et de monuments, au moment où la campagne se radicalise. Eglises (notamment Westminster Abbey), châteaux et résidences luxueuses de membres du gouvernement sont bombardées. De plus, la représentation passive et idéalisée des femmes dans les musées n’étaient pas vraiment du goût des suffragettes.
“détruire le portrait de la plus belle femme”
La National Gallery n’a pas échappé à ces actes de dégradation. Le 10 mars 1914, une ancienne étudiante des Beaux-Arts, Mary Richardson (v.1882 – 1961) attaque au hachoir la Vénus au miroir de Vélasquez afin de “détruire le portrait de la plus belle femme de la mythologie”. Elle a pu s’introduire dans le musée en cachant l’outil de boucher dans sa manche, et frappe la toile 5 fois avant de se faire interpeller et évacuer.
Fait plutôt rare à l’époque à cause de l’Inquisition espagnole, ce tableau constitue l’unique nu peint par Velasquez. De plus, la déesse de l’amour nous présente son dos, tandis que la seule image que le spectateur perçoit de face est celle de son reflet, brouillé dans le miroir que lui offre son fils Cupidon. Son corps est mis en valeur grâce l’utilisation de coloris plus sombres pour l’intérieur et les courbes des draps qui épousent parfaitement les formes du personnage principal. Cette représentation intrigante s’éloigne de l’iconographie traditionnelle montrant Vénus assise à sa toilette au sein d’un paysage luxuriant.
un acte militant
Provoquer le scandale sans blesser ou tuer des hommes : l’action de Richardson a pour but de protester contre l’omniprésence de corps féminins en tant qu’object du regard des visiteurs de musées, et l’invisibilité des femmes en tant que sujets créateurs. Cet événement constitue l’un des temps forts de la mobilisation pour les droits des femmes, après plusieurs interpellations, une grève de la faim et l’arrestation de leur guide spirituelle Mrs Pankhurst. Selon Mary Richardson “la justice est plus belle encore que les couleurs ou les dessins sur une toile”.
Aujourd’hui, il ne reste presqu’aucune trace perceptible des coups de hache sur le tableau restoré, il faut s’en approcher très près pour en distinguer les stigmates. Si vous visitez la National Gallery avec un guide, l’incident est à peine évoqué, et avec un certain embarras. Sans compter qu’il n’est même pas mentionné sur le cartel du tableau ou dans sa description sur le site du musée : www.nationalgallery.org.uk/paintings/diego-velazquez-the-toilet-of-venus-the-rokeby-venus. Ou quand une autre partie de l’histoire est mise sous silence…