Premier roman publié en 1811 de façon anonyme, Raison et Sentiments pose les jalons des thématiques chères à Jane Austen et met en scène des personnage féminins mémorables
Le titre même oppose en une expression ressemblant à une maxime les deux héroïnes du roman. D’un côté, il y a la sage Elinor, l’aînée bien sûr, celle qui est responsable, réfléchie et cache constamment ses émotions. De l’autre, l’exaltée Marianne recherche la passion, l’excès, à l’instar des personnages de ses auteurs favoris : Shakespeare et Scott entre autres.
Raison et Sentiments conte l’histoire des deux soeurs, de leur mère et de la benjamine Margaret, forcées à vivre dans un modeste cottage parce que le demi-frère des héroïnes, sous l’influence de sa femme, manque à la promesse tenue au défunt père, selon laquelle il devait aider ces femmes dans le besoin.
Une fois de plus, Austen prend le parti face à la triste condition féminine de la fin du 18e siècle. Avec force détails et son irrésistible ironie, l’auteur dévoile la vulgarité de personnages campagnards tels que Mrs Jennings, Sir John et Lucy Steele. Marianne se révolte précisément contre ces conventions sociales, les hypocrites et futiles formules de politesse ou de convenances. Et, pendant qu’Elinor accepte docilement son destin en souffrant les confidences de Lucy Steele, fiancée à l’homme qu’elle aime, Edward Ferrars, Marianne affiche clairement sa passion pour ce débauché qu’est Willoughby. Ils professent leur amour, arpentant les pittoresques paysages du Devonshire, magnifiquement décrits par la plume austinienne. Marianne brise ainsi le coeur du séduisant colonel Brandon, qui n’est pas sans rappeler Mr Darcy. Dès lors, comment ne pas préférer la vibrante Marianne à sa cynique soeur ? La sensibilité artistique de cette dernière se traduit par sa pratique de la musique. C’est une héroïne tragique qui frôle la mort, qu’on appréciera pour sa passion et son intégrité. Les suffrages des cartésiens se tourneront peut-être plus du côté des piques d’Elinor qui se confondent avec la voix de la narratrice.
En raison du potentiel pictural qui fait la richesse de l’univers austinien, Raison et Sentiments a été transposé plusieurs fois à l’écran, les adaptations les plus mémorables étant celles de 1995 et de 2008, successivement tournées par Ang Lee et Andrew Davies. Le succès de la première version tient à l’interprétation parfaite de Kate Winslet en Marianne. Les personnages masculins sont presque plus saillants que dans le roman, surtout Alan Rickman en Brandon. En revanche, la performance de Emma Thompson qui incarne Elinor et la touche de Lee demeurent très académiques, sur fond de décors extérieurs qui semblent artificiels.La version de Davies (voir ci-dessous) est visuellement plus soignée, plus sensuelle aussi, mais les héros masculins manquent de caractère. Marianne est convaincante, et l’actrice qui joue Elinor est excellente, bien plus crédible qu’Emma Thompson. À vous de choisir!